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C’est en France que les élèves souffrent le plus !

275 000 jeunes, 41 pays, plusieurs mois d’enquête, l’OCDE s’est livrée à un colossal audit de l’école à travers le monde, rendant enfin possibles des comparaisons internationales fiables et précises. Entretien avec son directeur adjoint de l’Education qui en détaille les leçons percutantes.

 

Le Nouvel Observateur. – Pour la troisième fois, l’OCDE a évalué les compétences en lecture, en mathématiques et en sciences des jeunes de 15 ans dans 41 pays. Qui sont les « premiers de la classe » ?

Bernard Hugonnier.– Nous avons mis cette fois l’accent sur les mathématiques. En tête du palmarès, la Finlande, la Corée, le Canada, les Pays-Bas et le Japon. Certains pays sont tombés des nues. « Mais alors, qu’est-ce que ça doit être ailleurs ! », nous ont-ils déclaré. La France, qui a une assez haute idée de son système éducatif – même si elle ne cesse de s’en plaindre –, n’obtient pourtant qu’une petite moyenne. En dépit d’une journée scolaire chargée et d’efforts financiers importants, elle figure au 13ème rang pour les sciences, et au 17ème rang pour la lecture et les mathématiques. L’école y est aussi plutôt moins juste qu’ailleurs, les écarts entre les bons élèves et les élèves en difficulté étant particulièrement importants.

N. O. – Et quelles sont les recettes des pays où l’école marche bien ?

B. H. – On peut simplement observer que, dans les pays les plus performants, les élèves ont plaisir à apprendre, les relations avec les professeurs sont très bonnes, le climat est moins à la répression qu’à l’autodiscipline. Les enseignants se situent dans une optique d’accompagnement. Une chose est frappante : ces pays, Finlande, Japon, sont souvent des sociétés traditionnelles, avec des populations homogènes. Les textes, la hiérarchie, les maîtres y sont très respectés et leur autorité reconnue. C’est loin d’être toujours le cas en France.

Le rejet de l’autorité ou de l’école s’observe avant tout dans les pays où l’intégration des populations immigrées est mal faite. Ne se sentant pas acceptés, les jeunes issus de l’immigration rejettent la culture qui refuse de les intégrer. L’intégration des étrangers et de ces jeunes est d’ailleurs un point essentiel pour la bonne marche d’un système scolaire. C’est pourquoi, pour la première fois cette année, nous avons souhaité comparer dans chaque pays les performances scolaires de ces jeunes avec celles du reste de la population. Ainsi, au Canada, l’un des pays les mieux placés dans nos classements, ils réussissent très bien et même mieux que les Canadiens du cru.

N. O. – Mais le Canada est une exception, en général les jeunes immigrés ne sont-ils pas les moins bien lotis ?

B. H. – Certes, le Canada trie ses immigrés sur le volet. Il s’agit de personnes très qualifiées. Mais ce n’est pas la seule explication de leurs bonnes performances. D’une façon générale, les systèmes éducatifs les plus performants sont ceux qui font réussir tous leurs élèves, aussi bien les bons que ceux qui ont moins de facilités ou qui sont moins favorisés socialement. En éducation, on peut concilier qualité et équité, limiter efficacement l’influence du milieu social sur les résultats. Et en la matière, la France a fort à faire.

 N. O. – Pourtant, beaucoup pensent qu’on ne peut pas enseigner la même chose à tout le monde. Certains peuvent réussir et d’autres non, du moins dans la voie générale.

B. H. – C’est vrai, d’où les critiques en France contre le collège unique. Pourtant, un tronc commun, parfois même jusqu’au bac, comme dans les pays nordiques, produit les meilleurs résultats. Pourquoi ? Croire qu’en « offrant » des voies différentes d’orientation, pour permettre à chaque élève de réussir selon ses moyens, est une illusion. De fait, ces systèmes de filières isolent les élèves faibles ou en difficulté. Résultat : les bons élèves progressent à peine plus, alors que les élèves moyens et les élèves plus faibles perdent beaucoup. Si bien qu’au final les performances de ces pays très sélectifs sont moyennes, et nettement moins bonnes que dans les pays où l’école est plus démocratique. Où l’on choisit de ne pas trier les élèves mais au contraire de favoriser au maximum la diversité dans les classes. C’est le cas par exemple en Finlande où, grâce à un suivi individualisé, l’hétérogénéité des classes est gérée au mieux.

A contrario, l’Allemagne, qui trie plus tôt que nous encore et, dès le début du collège, oriente une partie de ses élèves vers des enseignements techniques et professionnels, obtient de mauvais scores. D’ailleurs, alarmées par les résultats de nos enquêtes, les autorités allemandes ont remis en chantier leur système éducatif.

N. O. – La France s’est elle aussi lancée dans une réforme. Avec notamment un socle commun pour tous les collégiens. Est-ce une méthode qui marche dans d’autres pays ?

B. H. – Le principe du socle commun de connaissances, qui impose aux professeurs de transmettre à tous leurs élèves un minimum de compétences dans différentes disciplines, est plutôt une bonne chose. Nous constatons une corrélation entre la mise en place de «standards» minimums dans chaque matière et les bonnes performances globales des élèves. L’objectif étant alors pour chaque enseignant de s’assurer qu’à la fin de l’année chaque élève maîtrise ces standards. Ce qui n’interdit pas aux meilleurs d’aller au-delà. Il ne s’agit pas d’un nivellement par le bas des élèves, mais d’une exigence de résultat pour les professeurs.

N. O. – Ce qui rend inutile le principe du redoublement ?

B. H. – La France est aujourd’hui un des rares pays à se poser encore cette question existentielle. Chez nous, si un élève est en difficulté, on lui dit assez rapidement qu’il va redoubler, et les enseignants cessent leurs efforts. Les pays où s’appliquent ces standards, Canada, Suède, Finlande, etc., ont une autre philosophie: si un élève peine à suivre, le professeur se sent responsable de cet échec, et met tout en œuvre pour trouver une solution. C’est toute la collectivité qui manifeste davantage de solidarité, de tolérance. La coopération et l’entraide y sont plus développées. Autre particularité de ces pays qui marchent bien, on note peu de différences de niveau d’un établissement à l’autre. Même si, dans les classes les élèves sont, eux, de niveau très variable. Il n’y a pas de ghettos scolaires.

N. O. – Des milliers de lycéens sont descendus dans la rue pour signifier leur refus du « bac Henri IV » et du « bac Sarcelles ». A leurs yeux, cet examen reste l’ultime rempart de l’égalité républicaine dans l’Education nationale.

B. H. – Le système français doit évoluer car la situation actuelle est préoccupante. Entre ceux qui ont accès à une solide éducation et ceux qui, parce qu’ils habitent dans des quartiers en difficulté, n’ont pas les mêmes chances. Or nous constatons que l’égalité des chances passe par un vrai brassage social, y compris géographique. Le problème est comment l’organiser alors que les évolutions sociologiques poussent au contraire. Mais si on veut une éducation républicaine, on ne peut se satisfaire d’une situation où les résultats de nos enfants dépendent pour beaucoup de l’école où ils vont.

N. O. – Et s’il fallait retenir un seul critère pour caractériser une école qui marche ?

B. Hugonnier. – Le plaisir d’être élève. C’est un des points auquel nous avons accordé le plus d’importance cette année, avec toute une série de questions sur l’image de soi, le degré d’anxiété, le sentiment d’appartenance, autrement dit, l’impression d’être à sa place. Sur ce dernier point, la France détient le record du mal-être à l’école avec 45% seulement des élèves se sentant à leur place en classe, contre 81% en moyenne dans les pays de l’OCDE. Un score qui en dit long sur le chemin qui reste à parcourir pour rendre notre école efficace, performante et plus juste.

Caroline Brizard  Véronique Radier 

Comment évaluer l’école?

Pour juger de l’efficacité des systèmes éducatifs, l’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE) a lancé un vaste programme international d’évaluation auprès des jeunes de 15 ans, l’âge moyen de la fin de la scolarité obligatoire. La deuxième édition, Pisa (1) 2003, sort ces jours-ci en langue française: un outil unique qui permet de comparer le niveau moyen atteint par les élèves dans chaque pays. Mais pas seulement. Le rapport, un pavé de quelque 476 pages truffé de tableaux comparatifs très pointus, multiplie les entrées, depuis la longueur de la journée de classe ou l’importance des «petits cours» jusqu’au niveau d’intérêt et de plaisir pour les mathématiques, ou encore le sentiment d’être bien préparé pour l’avenir… Car l’OCDE s’est intéressée pour la première fois et de façon très approfondie aux éléments psychologiques de la réussite: la motivation des élèves, l’image qu’ils ont d’eux-mêmes ou encore les stratégies d’apprentissage. Pisa 2003 s’est même penché sur l’équité des différents systèmes éducatifs, en mesurant le degré de correction des inégalités sociales.

Mais la France reste très discrète sur ce sujet. Nous avions justement cette année une question sur les écarts de niveau plus ou moins grands entre les écoles et c’est le seul pays qui n’a pas souhaité y répondre. Sur le plan pratique, les tests que passent les élèves sont élaborés en commun par un consortium de pays. Ils portent moins sur les connaissances acquises par les élèves – puisque les programmes varient selon les pays – que sur leurs capacités à les mettre en œuvre. Ils sont conduits, pour chaque pays, sur une période de six mois, auprès d’élèves pris au hasard, dans 150 établissements scolaires, eux aussi tirés au sort. Résultats des courses? Les palmes académiques reviennent à la Finlande, championne toutes catégories, au Japon, au Canada et à la Corée.

Pisa: Program for International Student Assessment.